PORNWASHÉE

Mon premier souvenir de plaisir génital me téléporte vers mes 10 ans. Des pulsions de curiosité érotique me conduisent à explorer mon corps avec une voisine du même âge. À 11 ans, je me masturbe seule, sans réellement comprendre ce qui se passe et un an plus tard, j’ai mon premier orgasme grâce au fameux pommeau de douche multi-jet.  À la même époque, mes règles apparaissent et mes seins poussent ; il ne m’en faut pas plus pour me sentir femme. On s’entend qu’à cet âge, on est en 6ème année, mais je me sens femme quand-même. L’adulte que je suis aujourd’hui a envie de dire à cette fillette : « Calm down little girl… »

Être la première de mes amies à prendre des initiatives sexuelles, c’est un sentiment exaltant. À 13 ans, j’improvise donc une fellation avec le peu d’info que je réussis à recueillir (à cette époque, internet n’existe pas). C’est la première fois que je touche librement ce tube chaud et sans os, pourtant dur comme de la roche. Je suis complètement fascinée par ce membre, par les pouvoirs magiques de ma langue et par mon courage de la mettre en action. Cette expérience prend fin rapidement car sans prévenir, le gars éjacule dans ma bouche et j’ai l’impression d’avoir des spermatozoïdes de coincés entre les dents. Je choisis de garder cette pensée pour moi. Personne ne m’a appris à aborder ce genre de sujet délicat avec un jeune homme. Quand j’y repense, je trouve ça insensé. À l’école, on nous bourre le crâne avec le système reproducteur et les composantes d’un ovule mais jamais on aborde l’importance de la communication dans les rapports sexuels. C’est absurde, non ?

Conséquences d’une absence de communication ?
V’là trois exemples concrets.

  • À 14 ans, je décide de perdre ma virginité avec un Cubain de 16 ans qui vit au Venezuela. Son anglais est minimaliste, nos conversations le sont tout autant. De toute façon, peu importe dans quelle langue ça se passe, ça se passe mal. Pour une raison obscure, à cet âge j’ai la croyance limitante que lorsqu’on manifeste son désir de coucher avec quelqu’un, on ne peut pas changer d’idée ensuite.
    Mais la douleur est trop poignante alors je dis STOP ! Je veux me montrer brave mais les larmes coulent sans mon consentement sur l’oreiller. Pourtant, il continu en me murmurant doucement à l’oreille : « I’m almost finish. Shhhh… (J’ai bientôt fini, shutttt…) » Je suis en train de me faire violer et je n’en prends pas conscience. Je reconnais que j’ai mal, mais je suis entré dans sa chambre volontairement, right ? Je voulais essayer, right ? J’étais consentante, right ? Alors je ne m’autorise pas à dire le mot viol, je me sens complice de cette agression, ça ne fait aucun sens. En revenant au Québec, je mets cette histoire dans un coin sombre de ma mémoire et finis par croire que tout s’est relativement bien passé. Amazing, right ?
  • À 15 ans, je fréquente un gars de 18 avec qui je déconne sans cesse dans ma banlieue. Il a une bagnole, c’est génial. On se voit depuis quelques semaines quand, un jour ordinaire, il sort de la douche et se dirige vers moi, à poil, prêt à me sauter dessus. Lui, clairement excité. Moi, en train d’écouter Watatatow sur son lit. Pas dans le même mood pantoute.

    Pourtant, il arrache mes jeans et tente de me pénétrer sans perdre un millième de seconde. Gros pénis en furie VS petit vagin terrorisé. Même pas le temps de lui dire que les préliminaires ont été inventé pour une raison qu’il me lance : « Va falloir t’agrandir ça, c’te trou-là. » Selon ce grand champion de la performance, mon vagin est coupable de ne pas aimer se faire pénétrer dans un temps record. Il n’a probablement jamais vu une fille décrisser aussi vite !
  • À 16 ans, une première amourette de Montréal renverse la vapeur en me proposant un cunnilingus. Fuck que je suis gênée ! Il va mettre sa bouche là, really ? J’ai plein de craintes intérieures. Mon odeur, mon goût, mes poils, mon apparence, est-ce que tout ça va lui plaire ?Par chance, il est persévérant. Pas insistant, mais rassurant. Je me laisse charmer. Un délice. Je suis au septième ciel, c’est le cas de le dire. Au fil des semaines, je me donne la permission d’être dans le plaisir pur. Je jouis à chaque fois qu’on fait l’amour. C’est tellement bon que l’idée de changer de position ne se pointe pas à l’horizon. Je suis étendu sur le dos, je profite pleinement et je jouis intensément.
    Pourtant, cette première expérience positive se termine abruptement. L’adolescent qui a honoré mon clitoris n’a pas reçu non plus de cours spéciaux en communication. Il balance sa vérité à son ami qui lui, la confie à sa blonde, qui elle vient me traduire ça dans ses mots (qui sont assez durs à digérer pour mon ego déjà pas mal scrap). Elle m’apprend ce que signifie le terme « faire l’étoile ». Elle me dit que les gars trouvent ça ennuyant. Elle termine en m’annonçant qu’il retourne avec son ex. Outch.

Pas question que ce genre de débandade se reproduise ! Je prends donc la décision de m’instruire par moi-même sur la sexualité des hommes et la seule chose logique que je trouve à faire, c’est d’aller me louer des films pornos au vidéo du coin. Peu de temps après, je fais le pari de devenir une pornstar expérimentée, d’offrir les meilleures pipes ever, d’être une femme sur qui les hommes fantasment quand ils se masturbent. Je propose mon sexe en offrande et je suis le sacrifice. Dérape totale. Sans m’en rendre compte, je confonds sexe et amour. Tout ce qui m’intéresse, c’est d’être la meilleure, celle que les hommes se souviendront toute leur vie. « Avoir des relations sexuelles saines et sacrées ? Bin non voyons, c’est pas ça qui fait bander les gars ! » Je passe maître dans l’art d’incarner le fantasme des hommes mais reste une novice dans l’art de me connaître moi-même. Je connais tous les trucs qui allument le plaisir de l’autre mais j’ignore comment y trouver mon compte.

Pornwashée. J’était totalement pornwashée.

Je vous épargne les débuts de ma vingtaine mais quelques années (et blessures) ont été nécessaires avant que j’apprenne à me respecter, à me découvrir, à m’affirmer, à réclamer l’égalité des jouissances. Dans cette deuxième vie, j’ai compris l’importance de reconnaître ma valeur en tant que femme, la valeur de l’énergie sacrée. Après cet éclair de conscience, j’ai vu la montagne à gravir. Celle des apprentissages à intégrer pour reprendre mon pouvoir. Et ce n’est qu’après avoir suée pour me rendre au sommet que j’ai réalisé l’ampleur et la beauté du paysage : il y a des centaines de monts à escalader, des milliers de lieux à explorer et pas assez d’une vie pour tout expérimenter.

À l’aube de mes 36 ans, presqu’un an après avoir créé le Vagin Connaisseur, j’entends davantage parler de l’inculture du viol, de vagin VS vulve, de labiaplastie, du flux menstruel instinctif, d’éjaculation féminine, d’orgasmes, de l’homosexualité, du féminisme, du clitoris en 3D (l’animatrice radio de l’émission Co-Naître ensemble m’en a offert un!) et ça me réjouit.

Fuck le vedettariat pornographique, les tabous, les complexes et vive l’authenticité, la découverte, le plaisir, la communication.

Me semble qu’il existe une couple de personnes qui devraient se regarder dans les yeux au lieu de regarder de la porn sur internet. Je n’aurais jamais pensé écrire ça un jour. L’ancienne version de moi-même me trouve full kitsch« Communiquer ses émotions et se regarder dans les yeux ? T’es pas sérieuse ! »
Et c’est avec un sourire moqueur que je lui réponds : « Calm down little girl… »

– Mel Goyer, 2017

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